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Pourquoi sommes-nous toujours débordés ?

Avez-vous déjà eu le sentiment de vous noyer dans un verre d’eau ?

Avez-vous déjà eu le sentiment de vous noyer dans un verre d’eau ? Vous-êtes vous déjà plaint que les journées ne faisaient que 24h ? On court après le temps, sans jamais voir le bout du tunnel. Paradoxalement, nous rêvons de lâcher prise mais nous avons toujours le sentiment d’être en retard. Les enfants, le boulot, le conjoint, la famille… Pour autant, on sait que c’est illusoire de croire que l’on peut tout faire et tout mener de front. A croire que, submergées par la multitude des tâches à accomplir, nous nous sommes transformés en véritables to-do ambulants, ruminant sans cesse l’étendue des possibles et regrettant amèrement notre incapacité à l’ubiquité. Décryptage de ce phénomène moderne.


De la société contemporaine au culte de la performance

Vu que nous ne sommes jamais coupables, nous sommes toujours victimes n’est-ce pas ? Alors, la faute à qui ? A l’époque peut-être. Au gré de mes recherches, je suis tombée sur Nicole Aubert, une sociologue et psychologue qui s’est intéressée au culte de l’urgence. “Le sentiment de débordement est un phénomène global qui touche les hommes comme les femmes. Il s’est particulièrement accéléré depuis le milieu des années 1990, sous la conjonction de deux phénomènes”. Elle décrit deux facteurs fondamentaux; celui de l’émergence des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui a profondément modifié notre rapport au temps en nous immergeant dans une philosophie de vie de l’instantané et d’immédiateté puis, celui du culte de la performance qui exige de nous que nous nous accomplissions sur tous les plans : pro, perso, conjugal, familial. “La combinaison de ces deux facteurs a mené à une sorte de “dévoiement” de l’urgence, au sens où tout est désormais vécu comme urgent et important à la fois et où nous ne parvenons plus à différencier l’essentiel de l’accessoire…”


Une vie à 1000 à l’heure : un marqueur social ?

Un rapport de l’Institut national des études démographiques (Ined) rappelle que le partage des tâches domestiques se faisait encore au détriment des femmes, puisque 80% des travaux ménagers restaient l’affaire exclusive du “deuxième sexe”. Une injustice qui s’accroît un peu plus après l’arrivée du premier enfant. “Les femmes vivent aujourd’hui sous la pression permanente de nouvelles normes”, estime le sociologue François de Singly.


Dire de soi que l’on est débordé est une réponse toute faite, une affirmation qui nous rassure. Car en 2021, le fait d’être pressé, voire en retard, est un moyen d’asseoir notre statut social. Nous n’avons pas moins le temps qu’avant. En réalité, c’est notre manière de l’utiliser qui est différente. Vu que nous sommes connectés 7j/7, y compris (et surtout…) le soir, beaucoup de salariés sont sous pression permanente. L‘autre facteur qui induit cette impression est la fragmentation de nos activités. Il suffit d’observer notre manière d’agir lors d’un dîner.

Combien de minutes nous concentrons-nous sur ce que nous mangeons ou sur la discussion que nous avons avec notre partenaire ou nos enfants ?


N’en déplaise à certains, ce qui nous manque dans notre société, ce n’est pas le temps, mais bien des rapports humains de qualité. Lorsque nous traversons un pic de stress et que nous ressentons le besoin de ralentir, nous avons tendance, pour décompresser, à réserver une semaine de vacances au soleil. Je n’ai rien contre la plage et les palmiers, mais ce dont je suis certaine c’est que ce n’est pas ce type de break qui va contribuer à nous sentir moins débordés. Fuir n’a jamais été la solution à un problème.


Pourtant, l’impression d’être débordé n’est-elle pas avant tout un sentiment subjectif, variable d’un individu à un autre ? Chez certains, la vie débordante n’est pas vécue comme insupportable, mais, au contraire, comme un moteur. “L’urgence est comme une addiction, une sorte d’amphétamine de l’action qui permet de vivre plus vite, plus fort, plus intensément”, souligne Nicole Aubert. Finalement, être débordé est quelque chose de bien vu dans notre société. L’angoisse de la journée vide est plus forte que celle de la journée débordante. Etre débordé est donc socialement plus valorisant.


Ne rien faire c’est mal vu

Malgré tout, pour beaucoup, cette incapacité à s’organiser, à aller au bout des choses, est vécue comme une vraie souffrance. Le désir de tout contrôler a pour conséquence un sentiment épuisant de n’avoir jamais fini ce que l’on a à faire. On se condamne soi-même à être toujours débordé. Notre vocabulaire se transforme et parle de lui-même et tout devient une corvée et une obligation : “Il faut que…” ou “je dois absolument faire ça aujourd’hui…”. Dans ces moments-là, on nourrit son anxiété car notre existence se résume à avoir des missions de vie à accomplir. Vivre tout simplement devient un souci et se reposer ou ne rien faire devient un péché. Stéphanie Hahusseau, psychiatre et auteure nous explique dans son livre Tristesse, peur, colère : agir sur ses émotions que ne sont pas égaux face à ce phénomène de contraintes les hommes et les femmes. Elles ont plus de difficultés à être dans l’instant présent et à ressentir les émotions dans leur corps.


Les solutions


Etre tolérant à l’incertitude et l’imperfection

Que faire alors pour éviter d’atteindre son plafond de verre ? Selon Christophe André, psychiatre et méditant, il faut chercher un point d’équilibre entre le trop et le trop peu. Comprendre que nous ne sommes pas tout-puissants. Pour cela, on peut travailler sur le lâcher prise, en pratiquant, par exemple, des exercices de respiration pour réapprendre à ressentir son corps.


Hiérarchiser en terme d’importance…

… Pas par rapport à la tâche la plus urgente à faire mais par rapport à soi ! Cela nécessite de réfléchir à ses valeurs, de s’interroger sur ce que l’on juge essentiel ou non : est-il plus important pour moi de répondre au mail de ma ma boss ou bien de me cultiver en lisant un livre qui me tient à coeur depuis longtemps ? Est-il plus urgent pour moi de répondre à cette amie ou bien de ranger ma maison et tous les cartons qui trainent encore dans le salon ? A chacun de placer son curseur sur ce qui est dans l’instant, le meilleur pour lui.


Se résigner à vivre avec une to-do

Pour beaucoup de gens qui sont dans le contrôle, la to-do est l’objet sécurisant et pourtant, elle emprisonne. Vous êtes esclave de ce bout de papier qui vous met dans un état d’urgence. Envisager de ne plus vivre avec une liste infinie des mille et une chose à faire serait déculpabilisant et vous permettrez de mieux écouter votre libre arbitre. “Nous devons accepter qu’il y a plein de choses que nous ne ferons jamais ici-bas. C’est triste ? Oui, mais cette tristesse sera peut-être moins pénible et plus féconde que la tension liée au fait de vouloir tout faire.” Christophe André.


Se désencombrer du superflu

La qualité de notre vie sociale a plus d’impact sur notre santé mentale qu’une détox de céleri ou une danse du ventre sur une plage Brésilienne. De nombreuses études ont prouvé que les gens dont le quotidien est une quête effrénée à avoir toujours plus d’argent, de possession matérielle ou de popularité, sont plus sujets au surmenage, au burn-out et à la dépression que les autres. Pouvons-nous provoquer un changement dans l’esprit collectif de notre société moderne ? Non. En revanche, les études et les spécialistes du sujet du temps en parlent et tous, invitent à se poser une seule question : “Qu’est-ce que je vais arrêter de faire, dans les prochains jours, pour récupérer du temps précieux à consacrer à mes proches ?”.


Confusion entre temps et vitesse

Ce n’est pas parce qu’on travaille sur le temps qu’on arrive mieux à le “ gérer”, ça pourrait même être encore plus chaotique pour certains. S’il est possible de gérer son agenda, on ne peut gérer le temps, car celui-ci n’est pas comme un moulin dans lequel on rentre et on sort . Il est plutôt la marque de notre emprisonnement existentiel puisque nul ne peut choisir la place qu’il y occupe. Notre façon de confondre temps et vitesse en dit long sur notre rapport au monde d’aujourd’hui. En pensant le temps comme à la matérialisation de tout ce que l’on doit accomplir, au dynamisme de nos actions et au rythme de nos échanges, nous ne faisons en réalité qu’entretenir une croyance : plus il y a d’innovations plus il y a de temporalité en nos actes.


Quid de l’espace-temps ?

Il ne faut pas confondre le temps avec ce qui se passe dans le temps. Dans la plupart des théories physiques, l’espace-temps est comme une scène de théâtre dont la structure serait indépendante de la pièce qui s’y joue : quoi qu’il s’y passe, cela n’a pas d’effet sur l’espace-temps lui-même. Selon Etienne Klein, philosophe et physicien, expert français de la question du temps : “ On confond le temps souvent avec les phénomènes temporels qui se déroulent en son sein. D’où la polysémie (= propriété d’un terme qui présente plusieurs sens) fulgurante du mot “ temps “ qui s’est enkystée dans le langage.”

Le temps n’accélère pas. Le cours du temps ne dépend en rien de notre emploi du temps, ni même de notre perception du temps : ce qui s’écoule dans le temps n’est pas la même chose que le temps lui-même. Pour Etienne Klein, c’est ainsi que la vitesse est une sorte de doublure métaphysique du temps : “ Lorsque nous disons que le temps passe plus vite, nous imaginons un quelque chose qui coule à vitesse croissante. Mais ce quelque chose n’est pas le temps : c’est la réalité tout entière qui “passe “et le temps qui la fait passer ne cesse jamais d’être là pour la faire passer.”


Rien n’est pris, rien n’est perdu

La clé, selon moi, c’est de se savoir mortel. Car l’envie de vivre dans l’instant présent est la conclusion de notre condition finale : la mort. Si la vie nous offre encore des instants alors elle nous renvoie immédiatement à notre finitude. Adopter cette philosophie de vie change la donne car elle pousse à profiter du temps, des autres et de soi-même. S’imposer des rituels et des mesures drastiques comme par exemple apprendre à dire non quand vous vous retrouvez face à des situations trop chronophage. Essayer de laisser la place à une succession de moments (repli sur soi, travail, sport, vie privée) en mêlant mouvement et intellect. S’accorder un horizon annuel, une sorte de rendez-vous avec vous-même une fois par an qui vous fait du bien et vous permettrait de vivre chaque semaine qui le précède comme un stimulant, un but à atteindre.


Reste une durée à court terme, le présent ayant encore et toujours un caractère durable, dans lequel chacun peut se concentrer et vibrer pleinement. Alors… qu’attendons-nous ?

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