Décryptage de la série “En thérapie”
Il y a de ces séries qui heurtent, qui frappent, qui marquent...
Il y a de ces séries qui heurtent, qui frappent, qui marquent, qui dépeignent la société et qui soulèvent des sujets tabous à travers des histoires de vies, de récits, de mots et de silences. La série Arte “En Thérapie” en fait partie. Elle explore 5 profils et plus précisément les méandres de leurs inconscients respectifs, à travers la psychanalyse au lendemain du 13 novembre 2015 et des évènements traumatiques du Bataclan. Décryptage et analyse de 35 épisodes où l’on troque son canapé de spectateur contre le divan de l’analysant.
Les personnages et les concepts psychanalytiques
Tous se retrouvent face au silence, face à eux mêmes, à la rencontre de ce qui les habite déjà. Philippe Dayan leur psychanalyste (lui même en thérapie avec Esther son ancienne mentor), les accompagne dans leurs parcours analytiques. Mise en lumière de plusieurs concepts psychologiques remarquablement illustrés.
Ariane et le concept du transfert amoureux
Ariane est une jeune femme chirurgienne qui a travaillé la nuit des attentats du Bataclan, persuadée d’être amoureuse de son psy. Ce personnage met en lumière le concept de transfert amoureux. C’est un mécanisme par lequel les désirs et les demandes que l’on peut exprimer à son psy s’adressent en réalité à une autre personne dans l’inconscient du patient. Le thérapeute se fait alors le relais d’une demande et d’un désir à travers un discours adressé à un autre: c’est ce qu’on appelle “le grand autre”, un lieu où l’analysant (personne qui se fait psychanalyser) espère recevoir des vérités afin de résoudre des énigmes ou combler un manque.
Le patient est alors face à un thérapeute qui le plus souvent lui témoigne une grande considération, sans jugement avec une dose de bienveillance dont personne n’a réellement l’habitude. Il est donc logique pour le patient de croire qu’il y a une connexion plus forte que tout dans leur relation. Le personnage est touchant même si j’ai trouvé dommageable pour Ariane la posture de son psy qui ne fait suffisamment pas de recadrage en mettant les limites éthiques.
Adel et le concept de la dissociation
Adel est un flic de la BRI qui a été également de service lors des attaques terroristes du Bataclan. Ce personnage sublime exactement le phénomène de la dissociation traumatique qui consiste à se couper de toutes ses émotions et ses ressentis corporels de son trauma. La prise en compte de la réalité et du vécu est inhibée (pensée, jugement, sentiment), de façon temporaire ou durable, pour supporter un traumatisme psychique. Il banalise d’ailleurs très souvent l’évènement de son intervention en tant que flic la nuit du 13 Novembre en disant : “c’est mon job c’est tout c’est comme ça, il faut coopérer, pas le choix”.
Selon moi, ce personnage est peut-être le plus lucide quant à la crise de civilisation que traversent l’Occident en général et la France en particulier. C’est aussi l’un des protagonistes les plus véhéments de cette série sous-tendue par une lourde charge de violence et son ton vindicatif est vraiment discutable ! Les psy dans le réel font face à des patients confrontants mais les passages à l’acte sont rares et l’agressivité d’Adel est surfaite dans le scénario.
Léonora & Damien, ou la demande d’assentiment
10 ans de relation, un enfant. Elle est enceinte de nouveau, elle ne sait pas si elle veut le garder. Ils ont passé des années chez les médecins pour tenter d’avoir un second enfant mais aujourd’hui Léonora ne sait plus, elle songe à sa carrière. Le couple cherche un regard extérieur sur eux-mêmes pour dénouer leurs conflits internes pour sortir de leurs angoisses et de leurs contradictions. Ils cherchent aussi un regard qui les rassure. Ils se déchirent sous les yeux du psy, j’y ai vu une forte demande d’assentiment.
Ce couple désuni voudrait que leur thérapeute choisisse à leur place. Doivent-ils garder l’enfant ? On y retrouve la notion du dominant-dominé, de la névrose de culpabilité. La série met en lumière le processus de destruction d’un couple à travers les besoins, les envies et les désirs que chacun projette sur l’autre. Les cartes sont sans cesse rejouées, les représentations ne sont pas figées et c’est ce que j’ai trouvé de remarquable chez ces deux personnages qui jouent avec une vulnérabilité et un naturel déconcertant.
Camille, une ado à la rencontre d’elle-même
Jeune-fille de seize ans, championne de natation fait son entrée dans le cabinet suite à un accident de vélo car elle a besoin d’une contre-expertise pour les assurances, certifiant qu’elle n’est pas suicidaire. Camille a t’elle provoqué cet accident pour échapper à une responsabilité trop lourde pour elle ? “Ici dans mon cabinet, on peut avoir de grands moments de vertige”. Vertige de la révélation des désirs inconscients qui échappent à notre conscience.
Vertige de la rencontre avec soi-même, cet “être” que nous croyons connaître mais qui reste bien souvent un mystère. Prendre conscience des motivations qui nous poussent à agir est une découverte qui peut faire vaciller et ce personnage est un condensé percutant de ce qu’est aussi la psychanalyse. L’âme de ce personnage est chamboulée, l’esprit tiraillé et le corps éreinté. Le personnage de Camille restitue cet aspect fécond de la pratique dans une absolue justesse qui m’a personnellement remuée émotionnellement !
L’analyste
Le psychiatre-psychanalyste (Philippe Dayan) accueil ses patients dans son cabinet parisien. Les séances de thérapie de soutien se déroulent en face à face (ce qui nous donne une indication sur son courant de pensée Lacanien). Je le trouve très pertinent dans sa pratique car il va chercher les émotions subjectives de ses patients tout en étant humain et confrontant.
Mon seul regret ? Dayan est trop interprétatif. A mon sens, nous sommes dans l’idée reçue du psy. Par ailleurs, une de ses phrases à retenu mon attention : “tout a un sens, il n’y a pas de hasard”. Je suis personnellement moyennement d’accord avec ça. Si tout a un sens cela signifie que tout est interprétable et que tout a une raison d’être. Cela veut dire aussi que tout peut être insinué et qu’il y a une intentionnalité inconsciente du sujet et donc à fortiori pas mal de culpabilité que l’on renvoie à son patient. Malgré tout, je trouve ce personnage interessant car il interroge sur la question de la neutralité en tant que psy. Elle évite le transfert certes mais parfois il n’est pas toujours bien reçu/compris par le patient. A mon sens, il est plus important d’être contenant que neutre car elle peut avoir tendance à déshumaniser le psy et ce qui compte c’est la vérité du patient.
Le rôle de la supervision
C’est très bien que les réalisateurs aient mis en lumière ce concept de supervision. Dans le réel, il n’y a aucune obligation de devoir se faire superviser lorsque l’on est psy même si c’est fortement recommandé pour éviter le contre-transfert. La supervision existe pour élargir la capacité du praticien à vivre émotionnellement et intellectuellement des situations complexes. Je trouve simplement dommage qu’elle soit si peu représentative du réel dans la série. Philippe Dayan ne paye pas sa superviseuse Esther et leurs échanges s‘apparentent davantage à une conversation libre entre amis construite sur fond de rancoeur. Il y a donc un biais logique en terme d’affect et le cadre de la relation est mis à mal selon moi.
Un pas vers la démocratisation de la psychothérapie ?
Chacun a son propre rapport à la thérapie. Certains font semblant de ne pas y croire, pour ne pas admettre leur fragilité. Au fond, tous recherchent la même chose : qu’un professionnel les aide à mieux comprendre qui ils sont, et leur révèle certaines vérités qu’ils se cachent à eux-mêmes. En analyse, le rapport à la vérité est complexe car il y a ce que l’on vient dire et ce que l’on ne veut pas dire. En Thérapie a le mérite de présenter le métier de psychanalyste en s’appuyant sur de nombreux éléments de réalité. C’est une websérie informative qui désacralise la démarche psychothérapeutique et brosse de nombreux concepts psy : rien que ça, fallait l’ faire !
Oui, on y retrouve réellement ce qui se passe à huis clos chez un psy.
Oui, la mosaïque des personnalités est représentative des personnes qui un jour font le pas de l‘analyse. Cependant, la série renforce certains stéréotypes sur le thérapeute (d’ailleurs pourquoi forcément un homme?) qui va mettre du sens et du symbole sur tout ce que son patient dit et enfin, dommage que la relation de supervision soit si éloignée du réel.
Malgré tout, la série démocratise la psychothérapie. J’ai aimé vivre les moments de silence avec les patients, je me suis attachée à eux un peu plus à chaque épisode. Je me suis même vu, à tort ou à raison, partager leurs souffrances et épouser leurs introspections. Les réalisateurs ont réussi ce grand pari d‘illustrer l’intimité de la relation entre un psy et ses patients par un jeu d’acteurs émérite, incisif, éblouissant.